Forty Dogs

Je planche sur un objet éditorial pour nuit myrtide édition pour le Marché de la Poésie. Un texte de didier bourda, lu par didier bourda et édith azam, mis en son par martin antiphon, avec une pointe de piano à bretelles c/o jesus aured.

Je poursuis mes recherches en spatialisation, habituellement grandeur nature imprimant le monde avec ma casse rouge du Niveau Zéro de l’Écriture. Là, je reviens à la page pour prendre en main des extraits du texte de didier bourda et lui donner un tour d’écrou supplémentaire par sa forme visée, ce jeu dans l’espace de papier offert. Faire jouer le texte dans ce qu’il est déjà, formellement. Du cut-up augmenté.
Je poursuis juste le geste d’écriture.
Par celui de l’édition.

Le texte, postérisé, joue de cette littérature silencieuse qui me plait tant, cette écriture trouvée silencieuse. Un écrit, à lire, en soi. Ici l’écrit à lire en soi sera confronté à une lecture, un écrit dit par d’autres, puis lu par le laser caressant le compact disque, amenant les mots lus émolument à l’oreille: un texte mis en voix.
Ce texte là s’approprie l’espace du temps, y germe, y trace sa ligne déroulée, et -yeux fermés- s’immisce, pénètre par les pavillons ouverts. Voix sonore. Voix d’échange. Vases communiquant.

L’extrait d’écrit ( “pur” allais-je dire, celui sur papier… non carné par une voix: le texte, sans langue ni corps la portant, juste le code du texte porté par le papier, attendant en moi son incarnation par un simple regard ), ce texte-là lui sera aplati, planifié dans les deux dimensions d’une feuille de papier. Pliée. Pour cette collection baptisée “Stand and unfold yourself”. Interrogeant l’identité du texte même, se dévoilant. Qui va là?

La lecture linéaire y est abolie. La ligne pure éclatée. Avouons que cette seule esthétique permet de libérer le geste de lecture de sa forme canalisée, codée. Le regard du lisant, soudainement heurté dans ses bonnes moeurs de lignage, redevient nomade. Je suis ici. Et non mené par le nez d’un point A à un point B. Art roman. Je suis ici. Et doit lire le paysage.
Le balayer de mon regard.

L’inertie de la ligne, épine aimée dans le pied de l’oeil ainsi soumis, lié aux oeillères sécurisantes du texte, sa noria abreuvant le temps liquide d’une matière ingérée, ce n’est pas rien, le lecteur avance ainsi sans état d’âme – comme convenu- sur ce cercle tracé à la craie – du premier mot au dernier bouclant roman, souvent se clôturant sur lui-même, pour les plus mauvais mauvais d’entre eux. Inutiles.
Ou simple passe-temps.
Chèvre broutant attachée au piquet.

Matérialisation du temps qui passe, la dernière avant le vide.
Celui de la contemplation.
Délivré de toute narration.

La contemplation délaissant le match de catch, trop écrit.
Le geste d’écriture est également libéré par cet éclatement de la page, en paroi unique  de papier, non plus à feuilleter. À déplier, physiquement. Mais également du regard, parcourant, nouveau dépli.
Une soupape s’ouvre au geste, premier, et c’est dans cet espace que je vais jouer, en tant qu’éditeur, qui n’est rien d’autre qu’un lecteur ( du texte achevé, de didier bourda) doublé d’un écrivain, ici graphiste, continuant l’écriture du texte dans l’espace de papier. Ce petit espace ouvert par la forme et non entrevu par didier. Tentant de faire résonner le texte autrement. Non, pareillement mais plus profondément. Partir du texte pour l’amener un peu plus loin. Ne pas le détourner. Là serait réécriture.

Le souffle régulier, ponctuant les pieds plantés sur la piste ocre, plantés un infime moment, nécessaire à la course, j’entends arriver le poète, courant, le relais en main. Le texte. Je m’élance, doucement, une main tendue vers l’arrière, j’entends ses pas s’approcher, sa respiration, j’accélère, le relais touche ma pomme, je resserre mon étreinte, j’accélère. Déjà le souffle derrière s’éloigne et se déverse de sa mécanique hachée. Le texte en main, mes pieds se plantant sur la piste ocre, j’entame le dernier tour.

Dans cet espace ouvert par la forme, je mets en scène -théâtre intérieur d’une feuille, prototype du reste- le texte.

Le texte, habituellement en séquence -roi contraint par ses pages- se retrouve ici sur un même plan. Levellers/Niveleurs. Ses fragments peuvent ainsi communiquer entre eux spatialement, comme le fut ce récit de route tiré sur papier peint de six mètres de long, “Songe d’Akène”, où les lecteurs face à un mur de remémorations piocher des bouts d’un voyage passé. Plus de ligne première, lecture ne diagonale, du fou, ayant perdu le fil, l’esprit fait ses propres liens, orphelin, sans fil, dans un labyrinthe dédale où il ne peut sortir qu’en volant par ses propres moyens, plus de ligne dirigée. Fil rouge.
L’esprit retrouve, puissance dix, l’anaphorique procédé, déjà sentie en lecture filée, quand il se met à relier -concrétion- deux pages éloignées, entre elles. Le rapprochement, à l’esprit, faisant sens. Commandé. Ou personnel. L’indépendance du lecteur, libéré de la contrainte imposée par l’écrivain. L’abandon de tout genre, de toute lignée, pour n’être plus qu’extraits de langues volées. Extraits.
L’histoire importe désormais peu. C’est cette perle, ce bout de langue qui me fait vibrer, que je conserve. Une phrase. Le lecteur s’émancipe du grand horloger. Il commence, ciseaux en main, à construire ces propres bribes.
Lentement, morceaux après morceaux, sutures après sutures, le corps d’écrits récupérés prend forme sur la table du laboratoire, attendant l’étincelle orageuse qui lui donnera vie. Un nouveau texte, représentation de soi. Docteur ou monstre?
Le texte mis à plat, sur le grand verre brisé, billard, comme une marié mise à nue. Sur cette surface en deux dimensions, il comprend désormais lui-même plusieurs niveaux, plusieurs plans, cadres ou séquences, selon la typographie, sa taille, ses blocs, leur spatialisation.

Jamais un coup de dés de Mallarmé joue déjà de cela, mais en plaçant, au milieux des mots, le silence de l’espace, une respiration. Peu de déconstruction. Ou multiplication de sources s’ingérant dans le dit.
Mallarmé joue de l’inter-règne, posant dans le blanc offert la régence du lecteur, son espace de jeu, sa liberté. Son temps. Propre. Brisant la chaine subie, la cadence du texte, pour permettre – dans cette syncope- l’ouverture…
“si ça restait fermé ce serait terrible tout faire pour que ça s’ouvre”…
Syncope/ouverture atteinte par le déplacement d’un accent attendu, l’émergence d’une rupture, évanouissement, syncope même du lecteur, un temps surpris par l’absence du convenu – un  contretemps tardant, laissant un vide. Un temps. Seul.

Un temps de suspension.

(…)

De ces suspensions syncopées trouvées au creux d’une gymnopédie.
Ou une Gnosienne.
D’Erik Satie